tianjin cosmopolis

tianjin cosmopolis

vendredi 21 avril 2017 à 19h00

« Les différentes thématiques sur lesquelles j’ai travaillé depuis quinze ans (histoire de l’orientalisme, des pratiques spatiales, de la domination coloniale, des relations trans-impériales, de la mondialisation, et des futurs possibles), se croisent à Tianjin en 1900, où s’est déroulé un épisode oublié de l’histoire des relations internationales en Asie[1]. Tianjin constitue un hapax dans l’histoire du monde contemporain : dix puissances impériales sont concomitamment présentes dans l’agglomération par le biais des concessions étrangères acquises à la suite des différentes guerres menées en Asie orientale, entre 1860 et 1900. En effet, cette ville fortifiée suscite toutes les convoitises : elle contrôle l’accès de Pékin, et constitue, par sa proximité avec la capitale, le deuxième pôle économique du pays après Shanghai, le second centre politique et intellectuel après Pékin, et le principal lieu de négociation diplomatique en Chine. Créées, à l’origine, pour mettre à distance les puissances étrangères du territoire relevant pleinement de la souveraineté chinoise, les concessions deviennent rapidement, sous l’impulsion des élites modernisatrices chinoises, un espace privilégié d’interactions et de dialogue entre étrangers et Chinois. Le vice-roi Li Hongzhang transforme Tianjin en un laboratoire d’incubation et une vitrine de la modernité urbaine chinoise dans les années 1870-1900 : on y installe pour la première fois en Chine le téléphone, le télégraphe, un hôtel international, une gare ferroviaire, un système postal public, une industrie d’armement moderne, une Académie militaire et une Université. L’histoire de Tianjin démontre qu’une partie des élites chinoises a su répondre aux défis de l’internationalisation à la fin du xixe siècle, contrairement au cliché d’un État chinois, incapable de répondre aux menaces internes et extérieures, et subissant une longue agonie.

La guerre durant l’été 1900 transforme brutalement la ville chinoise, avec d’abord l’occupation par les Boxeurs qui en font une sorte de commune insurrectionnelle, puis les sièges successifs des concessions étrangères et de la cité autochtone qui détruisent de nombreux quartiers, et enfin le massacre d’une partie de la population chinoise à la suite de la victoire des troupes étrangères. Toutefois, l’été 1900, dans la ville de Tianjin, constitue également un moment d’ouverture des possibles, oublié a posteriori. Je me suis appliqué à restituer l’indécision de la situation militaire et politique ; une incertitude qui ne résulte pas seulement d’un jeu de l’esprit de l’historien mais qui caractérise les protagonistes chinois et étrangers qui pensaient alors que d’autres futurs étaient possibles et agissaient en conséquence. L’histoire de ces futurs non advenus peut ainsi révéler les capacités d’action des Chinois et les diverses stratégies adoptées.

En quelques jours à peine, cette cité provinciale se transforme en ville globale, un véritable microcosme mondial où tous les peuples de l’Occident et de l’Asie semblent, pour un temps, cohabiter et échanger après s’être violemment affrontés. Alors que le sac de la ville se poursuit, les forces alliées composées de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, des États-Unis, de la Russie, du Japon, de l’Italie et de l’Autriche-Hongrie fondent un gouvernement militaire international pour administrer et moderniser la cité chinoise et ses environs. »

Pierre Singaravélou