paris, théâtre des opérations

collectif, dir. Sylvain Venayre

éditions Seuil, 2018

21.50 €

Paris, théâtre des opérations

… est aussi un livre collectif édité par les éditions du Seuil, sous la direction de Sylvain Venayre, en partenariat avec la Librairie Petite Égypte. Avec des photographies de Martin Argyroglo et des textes de Ludivine Bantigny, Jean-Pierre Bat, Romain Bertrand, Isaure Boitel, Patrick Boucheron, Marie-Noëlle Bourguet, Manuel Charpy, Emmanuelle Cronier, François-Xavier Fauvelle, Claire Fredj, Naïma Ghermani, Christophe Granger, Sylvie Joye, Xavier Lapray, Emmanuel Laurentin, Anne Le Hoërff, Yann Lignereux, Fanny Madeline, Philippe Papin, Yann Potin, Sarah Rey, Aurélien Rousseau, Pierre Singaravélou, Clément Thibaud et Mélanie Traversier.

« La « Petite Égypte » est le quartier formé, au cœur du 2e arrondissement, par les rues d’Aboukir, d’Alexandrie, du Caire, de Damiette et du Nil, ainsi que par le passage du Caire, qui est le plus long passage couvert de Paris. Les promeneurs n’y font guère attention. Au numéro 2 de la place du Caire, ils remarquent peut-être une curieuse décoration égyptienne : des sphinx, des hiéroglyphes et trois visages de femmes avec des oreilles de vache, représentant l’antique déesse Hathor. Secouant un peu la tête, ils se disent qu’au fond tout cela n’est pas très étonnant. Paris est une ville-monde, n’est-ce pas, comme Londres, New York et tant d’autres. S’il y a ailleurs des Little Italy ou des Little Odessa, pourquoi n’y aurait-il pas ici une « Petite Égypte » ? Cependant, il ne s’agit pas de la même chose.

Cette « Petite Égypte » n’est pas le produit d’une immigration venue de loin, regroupée solidairement dans un même lieu de la grande ville. Elle n’est pas le nom donné, par une habitude lentement acquise, à un quartier dont la physionomie particulière serait due aux mœurs exotiques de ses habitants. Elle est presque le contraire. Elle est l’insolite conséquence, ici, d’une expédition que les Français menèrent au loin, à partir de 1798, sous le commandement du général Napoléon Bonaparte. 400 navires emportant 50000 hommes, parmi lesquels Kléber, Desaix, Murat, Lannes, Dumas (le père d’Alexandre), rejoignirent alors les rives du Nil, combattant pendant près de trois ans, tandis que plus de 150 savants et artistes, parmi lesquels Monge, Bertholet, Fourier, Geoffroy Saint-Hilaire et Vivant Denon, rassemblaient les matériaux qui allaient jeter les bases de l’égyptomanie du xixe siècle. D’ailleurs, mieux vaut se souvenir de ce renouveau du goût pour l’Antique plutôt que des opérations militaires, car celles-ci ne furent pas vraiment heureuses. Avec une certaine ambiguïté, la rue d’Aboukir commémore la victoire des Français sur les Ottomans le 25 juillet 1799. Mais comment oublier qu’au même endroit, un an plus tôt, dans une autre bataille d’Aboukir, la flotte de l’amiral Nelson avait presque entièrement détruit celle de Bonaparte ? […]

À Paris, le promeneur déambule au milieu d’innombrables souvenirs de batailles livrées aux quatre coins du monde, autrefois célébrées à travers des spectacles, des monuments, ou inscrites dans la pierre ou le métal. Ces arcs de triomphe dont on n’avise plus les motifs, ces noms de rues qui n’évoquent rien, ces monuments de bronze qui verdissent, qu’en faire aujourd’hui ? Peut-être, simplement, les regarder en face. Tenter de les lire, la candeur en moins, avec la même intensité que ceux qui les ont voulus ici. Comprendre aussi ce qui les a rendus presque indéchiffrables. Pratiquer de la sorte une histoire de plein vent : cette histoire qui fait dialoguer le savoir et l’espace, la ville et les livres, qui accroît le désir de connaissance en même temps que le nombre des pas. »

Sylvain Venayre, extraits de l’introduction