l’historien.ne dans l’espace public

l'historien.ne dans l'espace public

mercredi 12 juin 2019 à 19h00

Rencontre avec les historiennes et historiens Philippe Artières, Laurence De Cock, Mathilde Larrère, Guillaume Mazeau et Manuel Charpy.

Rencontre croisée autour d’une résidence d’historien à la librairie et de plusieurs ouvrages récemment parus : la dernière livraison de la revue Sociétés & Représentations, Le goût de la reconstitution, aux éditions de la Sorbonne (1), Le Bureau des archives populaires aux éditions Manuella (2), L’histoire comme émancipation aux éditions Agone (3).

1 Alors que la reconstitution est, pour les préhistoriens, les antiquisants et certains médiévistes, admise comme un outil de recherche, les historiens des périodes plus contemporaines s’en saisissent moins, arguant que les pratiques de reconstitution sont l’apanage des amateurs, avec en fer de lance le mouvement de la Living History. Le travail de ces derniers relèverait ainsi plus de l’art et de la création que de la recherche scientifique. Ce dossier a pour objectif la levée d’un certain nombre de malentendus. A partir d’études de cas (celles d’une fête rituel, de l’histoire d’un musée ou encore des performances d’un artiste contemporain), les contributeurs montrent non seulement la valeur heuristique de ces pratiques, mais aussi la nécessité de les étudier comme objet d’histoire. Chacun interroge la manière dont des pratiques savantes, et populaires, de « ré-activation » à la fois d’événements particuliers (révolution, catastrophe) et d’instants ordinaires, participent de notre regard sur le passé. En somme, interroger la reconstitution, c’est poursuivre d’une autre manière l’immense chantier d’une histoire des représentations dont l’historien ne serait plus absent.

2 Cherchant à réinstaurer un rapport souvent distendu entre sciences humaines et institution culturelle, le Centre Pompidou a invité l’historien Philippe Artières à intervenir à l’intérieur du musée durant toute l’année 2017 qui correspondait aux quarante ans de l’institution. Le projet imaginé par l’auteur est de créer un Bureau des archives populaires destiné à constituer une archive vivante du musée. Installé au milieu du forum, Philippe Artières, revêtu de sa blouse grise, est assis derrière son bureau en carton. Tel un archiviste, il attend les visiteurs qui s’assoient en face de lui pour recevoir leurs souvenirs, enregistrer leurs propos et témoignages, récupérer d’éventuels documents qu’il range soigneusement dans une boîte, tout en leur demandant de signer un droit de diffusion. Dans ce véritable petit théâtre de l’archive, il montre à voir le travail de l’archivage : Déposition, inventaire, restitution. À mi-chemin de la performance artistique et du théâtre de poche, toute l’entreprise de Philippe Artières est de rendre publics la geste et le temps long de la recherche. Une manière d’assister en direct au travail de l’archiviste d’ordinaire caché dans les bibliothèques, mais aussi de rendre hommage au travail de l’historien.

3 Une vulgate ancienne, mais constamment réactualisée jusqu’à nos jours, voudrait imposer l’idée délétère selon laquelle l’étude de l’histoire devrait avoir pour objectif de faire aimer la nation. « Histrions de la cour du prince et éditorialistes de gouvernement s’entendent pour fustiger les universitaires étrangers à la mission patriotique et déconnectés de la réalité sociale (et dont les plus heureux vendent péniblement leurs livres à quelques centaines d’exemplaires). Cette dernière critique, du moins, n’est pas fausse. Beaucoup d’historiens, plus assidus à faire fructifier leurs carrières académiques qu’à diffuser le produit de leurs recherches, n’ont en effet jamais vraiment pris la mesure de leur fonction sociale. Mais contrairement à ce que racontent les chiens de garde du roman national, celle-ci n’est pas nécessairement d’appuyer les manœuvres politiques les plus réactionnaires. La recherche historique n’a jamais cessé d’être créative, inventive et parfois engagée. C’est en référence à ce potentiel que nous voulons réhabiliter le concept d’«émancipation», galvaudé jusque dans les discours des politiques «en marche». Que serait une histoire émancipatrice ? Ce petit livre rappelle ce que l’émancipation signifie et plaide pour que la discipline historique y prenne sa part. Il faut regagner du terrain sur ceux qui confondent histoire et propagande haineuse, histoire et courrier du cœur. Replacer l’histoire dans la lutte contre les dominations et se débarrasser du fatalisme qui nourrit l’ordre dominant. »