la joie de lire – françois maspéro (1/2)

la joie de lire - françois maspéro (1/2)

vendredi 03 juin 2016 à 18h30

Dans le cadre du Pari des libraires 2016, manifestation qui rassemble les librairies indépendantes parisiennes autour d’un thème commun (cette année « le métier de libraire »), la Librairie Petite Égypte rend hommage à François Maspero (1932 – 2015) et à sa librairie La Joie de lire (1957-1975), en compagnie de Julien Hage, historien, de Nils Andersson, éditeur, d’André Velter, écrivain.

« François Maspero, c’est d’abord un libraire du quartier latin, qui était alors – aussi – un quartier populaire, celui des immigrés algériens, des intellectuels et des exilés du Tiers monde qui défilèrent dans sa librairie, d’Aimé Césaire à Thomas Sankara, en passant par Mario de Andrade. En créant sa maison en 1959, il rejoint la lignée des libraires-éditeurs indépendants les plus créatifs de l’édition française. […] Au fil des pages et des paroles, au péril de la censure qui ne l’aura pas épargné, François Maspero s’est démené pour faire entendre un rappel à l’homme, un rappel aussi impératif que généreux. Il a porté les regards – le sien comme le nôtre – sur les obscurs combattants et combattantes des mouvements sociaux, mais aussi sur les immigrés, les exilés et les apatrides, bref, les sans-grades de toutes origines… » Julien Hage

« Le problème était que j’étais incontrôlable. J’étais apparu dans ma boutique sans crier gare. Je n’étais lié à aucune formation politique. Plus grave, je n’avais moi-même aucune formation tout court, ni expérience, ni diplômes. Aucune légitimité, pas même celle de l’argent, qui rassure le bourgeois et encore plus, quoiqu’ils en disent, ceux qui prétendent ne pas l’être. Je m’étais arrogé la liberté d’éditer ce qui aurait pu être n’importe quoi sur des sujets auxquels je ne connaissais rien. Cet adjectif « libre » accolé à mes Cahiers pouvait être interprété pour le meilleur et pour le pire. L’un des premiers catalogues portait cette citation de Péguy : « Ces cahiers auront contre eux tous les menteurs et tous les salauds, c’est-à-dire l’immense majorité de tous les partis. » A relire le florilège des insultes déversées pendant des années, ce n’était pas faux. Les imprécations de l’extrême-droite étaient logiques : « Le bazar marxisto-culturel de la rue Saint-Séverin : le bon argent n’a pas d’odeur » (Minute). Celle des situationnistes y ont fait écho par la suite : « Ce n’est pas tant le fait d’être stalinien qui fait de M. Maspero une sinistre crapule, mais avant tout d’être un marchand : on n’est pas épicier impunément… L’ordure sévit encore au point d’ouvrir un autre bazar d’antiquités en face du précédent. » Le parti communiste n’avait pas digéré la publication, dès les débuts, de Critique de base de son vieux militant Jean Baby, et, plus tard, André Wurmser résuma, dans L’Humanité : « Maspero publie ce que ne publie pas le rebut des rebuts. » Etc., etc. Dans une manifestation, un jour, un commissaire de police cria à ses hommes en me désignant : « Arrêtez cet énergumène à lunettes. » Je me suis dit que cette appréciation correspondait très bien à ce que des gens sérieux devaient penser de moi. » François Maspero, Les abeilles et la guêpe, 2002.