samedi 10 septembre 2016 à 19h00
Rencontre avec l’auteur John D’Agata, de passage à Paris pour le festival America (Vincennes), dont les deux livres traduits en français, Yucca Mountain et Que faire de ce corps qui tombe ? (avec Jim Fingal), ont respectivement paru aux éditions Zones sensibles (2012, réédition 2016, traduction Sophie Renaut) et Vies parallèles (2015, traduction Henry Colomer). Une enquête et une contre-enquête sur un « fait social total » et sa mise en récit. En présence de l’éditeur Alexandre Laumonier.
En 2010, l’écrivain John D’Agata publie aux États-Unis About a mountain (traduit aux éditions Zones sensibles en 2012 sous le titre Yucca Mountain), un ouvrage salué par la critique pour sa rare capacité à mêler reportage de terrain et écriture littéraire. Avant de publier Yucca Mountain, John D’Agata avait proposé en 2003 à une revue littéraire américaine de publier un chapitre de son livre, mais la revue refusa le texte en raison d’« inexactitudes factuelles ». L’extrait fut finalement publié par la célèbre revue The Believer, mais non sans passer par les mailles du «fact checker» de la revue, Jim Fingal, qui dès le début de son travail pointa les inexactitudes factuelles et la liberté d’écriture prise par John D’Agata relativement à la réalité. Fingal et D’Agata commencèrent alors une correspondance qui durera sept ans, durant laquelle le fact checker demandera maintes révisions du texte, fruits d’âpres négociations entre l’auteur D’Agata et l’éditeur Fingal. Que faire de ce corps qui tombe ? reproduit in extenso à la fois le texte pubié par The Believer (un chapitre de Yucca Mountain) et les sept ans d’échanges de courrier entre les deux auteurs de ce livre, qui ressemble davantage dans sa forme à une bible glosée qu’à un ouvrage de critique littéraire. Si le texte principal (au centre de la page) reproduit l’extrait de Yucca Mountain, les commentaires tout autour reproduisent les âpres discussions entre D’Agata et Fingal dont la question centrale est celle-ci : quelles sont les limites de l’essai, et quelles sont celles de la littérature ? Il s’agit donc d’un ouvrage à quatre mains qui interroge l’essence même de l’écrit, à savoir : quelles sont les limites respectives du reportage ou de l’essai (où les faits se doivent d’être retranscris avec la plus grande exactitude possible) et la littérature (laquelle peut prendre quelques libertés avec la véracité des faits pour mieux les transcender) ? Un essai qui transformerait les faits pour se rapprocher de la littérature mérite-t-il encore le nom d’« essai » ? Quelle sont le rôle et la place de l’écrivain dans la retranscription de la réalité ? Une littérature qui fait fi de la réalité pour davantage s’attacher au « style » est-elle possible? La lecture de cet ouvrage est donc particulière, et il conviendra aux lecteurs de choisir leur mode de lecture – soit lire d’un coup le texte principal, puis ensuite les commentaires, soit naviguer entre le texte principal et les commentaires afférents. La lecture même de ce texte est en adéquation avec la manière même d’écrire et d’éditer un texte littéraire – raison pour laquelle ce livre pourra intéresser tous ceux qui s’interrogent sur le processus de création littéraire.
Présentation des éditions Vies parallèles
En 1980, un an après l’accident du réacteur de la centrale de Three Mile Island, le Comité américain de l’énergie atomique fait pression sur le Congrès pour que tous les déchets nucléaires du pays soient stockés sur un seul site. Ce sera Yucca Mountain, à 140 kilomètres de Las Vegas, Nevada. Ce livre révèle les moindres détails de ce projet d’enfouissement massif : les dizaines de milliards de dollars nécessaires pour aménager la montagne ; le rôle des lobbyistes pro-nucléaires sur le vote des élus corrompus ; l’échec des géologues à rendre la montagne imperméable ; les 250 camions qui passeront chaque mois par le centre de Las Vegas, remplis de déchets radioactifs ; les manuels scolaires financés par l’État pour convaincre les élèves que le « nucléaire est écologique » ; le comité d’expert chargé d’inventer une enseigne indiquant la dangerosité du site et compréhensible dans 10 000 ans ; la visite guidée des entrailles de la montagne… Mais la force du texte ne réside pas seulement dans les cris suscités par la peur du nucléaire. Mêlant avec force détails enquête de terrain et dialogues personnels – où s’invitent Noam Chomsky, Edward Abbey et Edvard Munch –, John D’Agata scrute les néons d’une ville derrière lesquels les suicides se comptent en masse et où la démesure ultime prend la forme d’un hôtel stratosphérique indestructible. Un récit sombre et éblouissant, servi par une écriture cinématographique, qui s’avale aussi vite qu’une pastille d’iode et dont la chute est vertigineuse.
Présentation des éditions Zones sensibles